Article paru dans l'Est Républicain en page Vosges le 25 avril 2004

Toute la journée, les groupes guidés par les papetiers se sont succédé dans l’usine où seuls les compresseurs sont restés en service. Photo Morad ORFI

Matussière : portes ouvertes sur l'attente
Les papetiers de Rambervillers, entrés en résistance en janvier pour que leur usine vive, y ont guidé hier des centaines de visiteurs, dans l'odeur des barbecues et un parfum de mélancolie.

A l'entrée, ils ont aligné tables et sièges pour leurs invités, accroché un pendu symbolique à côté d'un mini-cercueil, mais aussi prévu la bière en fûts, des tonnes de frites, baguettes, saucisses et merguez... Comme toujours, ils ont bien fait les choses, les salariés de Matussière et Forest qui ne le seront bientôt plus, puisque les lettres de licenciement partiront la semaine prochaine.

A 10 h, hier, la papeterie dont les machines se sont tues il y a une dizaine de jours est déjà cernée par les voitures. Les visiteurs se pressent à la journée « portes ouvertes », destinée à prouver la performance de cet outil industriel sur lequel MF SA a décidé de faire une croix en janvier dernier. A commencer par les habitants de Rambervillers et des environs, qui ont grandi avec la « papète », où des générations se sont succédé.

Une histoire de famille

Entre les petits chalets qui protègent la caisse et la buvette au soleil déjà chaud, c'est par familles entières que l'on se retrouve.
Dans la famille Balland, il y a le fils Frédéric, le délégué CFDT. La mère, Edmée, qui vient de redécouvrir l'usine où elle a trié cinq ans, jusqu'en 1961, et qu'elle a trouvée bien changée. Le père, Jean-Marie, retraité depuis une dizaine d'années après 37 ans de papeterie dont il n'a pas oublié la bonne ambiance. Sans oublier les neveux et les petits-neveux : « Au moins dix personnes de la famille ont travaillé ici », dit Edmée.

Pour visiter l'usine, il faut suivre le guide et ne pas s'écarter des pistes balisées. Ils sont une dizaine à prendre en charge les groupes, dont celui du maire de Ramber Gérard Keller, du vice-président du Conseil régional Jean-Pierre Moinaux, du conseiller général François-Xavier Huguenot, qui croisent à la sortie la conseillère générale Martine Gimmillaro, le député Michel Heinrich et plusieurs maires du canton.

Une des plus écolos de France

La visite serre le coeur de l'ancien directeur général Etienne Hochart, l'arrière-petit-fils d'Henry Boucher, qui va ajouter la sienne aux centaines de signatures apposées sur la pétition. Pour ceux qui n'y ont pas travaillé, c'est une vraie découverte, même si hélas les deux machines à papier sont muettes. « C'est plus vivant quand ça tourne », soupire André Antonot, le responsable qualité du laboratoire qui a pris en charge la délégation d'AC ! (Agir ensemble contre le chômage) emmenée par Christian Iceta.

La visite dure plus d'une heure et commence près des balles de briques de lait compressées : une spécificité de l'usine, qui réussit à les retransformer en pâte à papier, après en avoir séparé le plastique et l'aluminium intérieurs.

« Nous sommes une des papeteries les plus écologiques de France. Nous, on dépollue ! », dit fièrement André Antonot, rappelant aussi que l'usine, qui consomme 7.000 m3 d'eau par jour, la rejette « plus propre qu'avant » dans la Mortagne, après un passage dans la station d'épuration biologique. Au fil des ans, le travail est devenu moins physique à la « papète », entièrement équipée de sprincklers anti-incendie.

Un trésor de guerre de 3.000 tonnes

De leurs cabines climatisées, les salariés suivent sur les écrans d'ordinateurs toutes les opérations qui mènent la pâte liquide désencrée jusqu'aux deux machines, qui crachent 5 à 6 tonnes de papier à l'heure, en 3 mètres de large. La plus ancienne a été modernisée en 1999. « Quand je suis entré ici, en 1970, on était 350 à produire 20.000 tonnes de papier. Maintenant on en produit 55.000 tonnes à 200. C'est cela qui serait le plus dur : voir fermer une usine performante », dit André Antonot.

Après le salut à la contrecolleuse, qui a longtemps gardé son secret, au temps où la colle utilisée « était en fait de la fécule de pomme de terre qu'on allait chercher à Jeanménil », la visite se termine au pied du « trésor de guerre » des Matussière : 3.000 tonnes de papier en bobines qui attendent, comme les salariés, que l'espoir de cession de la papeterie se concrétise...




Catherine MICHELET-FRÉMIOT

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