Article paru dans l'Est Républicain en page Vosges


Comme un seul homme, tous les ouvriers ont décidé de continuer à travailler et de laisser sortir tous les produits finis. Photos Vincent HOPé

Matussière et Forest sous haute surveillance

Ils le laissaient déjà entendre mercredi soir. Hier matin, les délégués de la papeterie Matussière et Forest de Rambervillers en étaient définitivement persuadés : dans le cas présent, alors que leur groupe a décidé de tirer un trait sur l'unité vosgienne, se mettre en grève et bloquer l'usine serait la plus mauvaise solution, qui ne ferait qu'accélérer la fin. Donc, pas question de tomber dans ce piège.

C'est ce que le secrétaire du comité d'entreprise Yannick Marquis et les délégués Jean-Christophe Capdet (CGT) et Frédéric Balland (CFDT) s'apprêtent à expliquer ce jeudi matin, alors qu'il y a foule à l'entrée de la papeterie, où le campement a une fausse allure de piquet de grève.


Direction hors jeu
Une heure de pause a été prévue pour l'assemblée générale et à la queue leu leu, tout le monde rejoint la salle de triage en longeant les grosses bobines de papier et les piles multicolores de cartonnette à chemises. Yannick Marquis ouvre le feu : « Hier soir, Royal nous a dit qu'il fallait partir, qu'il n'y a plus d'avenir... Mais la meilleure décision, c'est de continuer à faire tourner notre machine ! »

« On a des commandes et notre entreprise n'est pas si mauvaise que ça. Il faut qu'elle tourne ! On a décidé de la prendre en charge », renchérit le délégué syndical CFDT. « La direction est hors jeu. Nous, on est tous capables de continuer, pour trouver un repreneur avant que le plan de licenciement arrive à son terme », ajoute le délégué CGT, en rappelant que la procédure ne sera pas lancée avant le 19 janvier. « A partir de là, on a 68 jours devant nous et de toutes façons, les salaires sont assurés jusqu'au 30 avril. »

La stratégie des délégués, qui considèrent la réduction de son activité 2003 comme une volonté délibérée du groupe d'affaiblir la papeterie, c'est de persuader leurs collègues de faire montre d'une rigueur et d'une vigilance accrues.


Monter la garde 24 heures sur 24
Le sabotage, voilà l'ennemi : « On applique le règlement. Surtout pas de casse ! Et tous les jours, un contrôle du matériel en location. On n'est pas des bandits, on est des ouvriers ! », résume Yannick Marquis (1). « A partir d'aujourd'hui, les voitures n'entrent plus dans l'usine et tous les camions sont contrôlés. »

Le directeur du site lui-même a été flanqué d'un « chien de garde » ! Il s'agit d'empêcher le démontage du matériel comme « l'évasion » du serveur informatique qui gère à la fois Rambervillers et Raon l'Etape. Pour cela, les salariés qui approuvent tous ce plan d'action à mains levées, sont invités à monter la garde 24 heures sur 24 à l'entrée de l'usine, en se portant volontaires pour des factions de quatre heures.


« Donner une bonne image »
L'objectif fixé : « Donner une bonne image », répète Yannick Marquis. « Pour trouver un repreneur avant d'être licenciés », ajoute Jean-Christophe Capdet. « Nous pouvons développer ici plusieurs types de papiers, pour cahiers par exemple... » Pendant que le travail continue, les délégués envisagent « des tracts, des manifs à Rambervillers et Epinal, des banderoles aux ronds-points... »

Ils s'apprêtent aussi à tirer les sonnettes du préfet et des élus, dont le maire de Rambervillers Gérard Keller, qui, hier matin à l'entrée de l'usine, se disait partagé entre larmes et colère devant l'avalanche de catastrophes (Tissage de Rambervillers, Poterie lorraine, Europfil) qui s'abat sur sa commune et « ces actionnaires qui laissent tomber un outil de travail performant », sans penser aux 200 drames humains qui risquent de s'ensuivre.


Catherine MICHELET-FRÉMIOT (1) Qui dément donc avoir évoqué personnellement les produits dangereux, comme la citerne de peroxyde, dont certains de ses collègues brandissaient la menace, mercredi matin à l'entrée de l'usine.