Article paru dans  l'Est Républicain le 17 juin 2004 en page Vosges


On met au point la marche à suivre pour la levée du blocus... mais la poursuite de la surveillance. Photos Claude ROUX

Les Matussière contraints à libérer l'usine
Après six mois de vigilance à l'entrée, puis de blocage, les Matussière sont contraints à laisser le passage par décision de justice, ce matin.

« ...500 euros par jour de retard, appel à la force publique si besoin est... condamnés aux dépens... » Les mots tombent dans un silence consterné. Le magistrat du tribunal de grande instance d'Epinal a beau exprimer hier, 9 h 05, à titre personnel à l'issue de l'énoncé du délibéré sa compassion pour les salariés de Matussière et Forest, les mots avaient toute la précision juridique voulue pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Les sept nommément désignés (dont les représentants des salariés) et tout autre qui empêchera le libre accès de l'usine ce jeudi matin à partir de 9 h risque non seulement de recevoir quelques coups de matraque subsidiaires, mais surtout de se retrouver financièrement essoré en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

Cela dit, s'il n'y a pas eu de protestation au tribunal ni plus tard, c'est aussi parce que nul ne se faisait d'illusions. « Les tribunaux décident toujours dans le même sens. On sait bien qu'on occupe un lieu privé... » remarquait un des membres du piquet, qui ne regrette rien de ce qu'il a fait pendant ces six mois de garde vigilante, jour et nuit, et de blocage enfin, quand l'activité de l'usine a été arrêtée. « On a défendu quelque chose », dit Jean-Marie, trente ans d'ancienneté. « Et on l'a fait en bonne camaraderie ».

Le « verdict »
Après le « verdict » du tribunal, Jean-Christophe Capdet, Frédéric Balland, les délégués CGT et CFDT et Yannick Marquis, le secrétaire du CE filèrent rejoindre leurs collègues restés à Rambervillers, pour leur rendre compte de la décision. L'assemblée générale précédente, lundi 14 avait décidé à l'immense majorité des voix de poursuivre le blocage même en cas de condamnation... Mais c'est une chose qu'une intention, et une autre d'être face à la réalité. Nombre de « nommément désignés », ceux qui seront condamnés de toutes façons en cas de blocage et auront déjà les frais du procès à régler ne veulent pas entendre parler d'une pareille ponction sur leurs revenus, deux jours d'amende valant pour beaucoup le mois entier d'une paie d'ouvrier.

On se parla donc franchement pendant une petite heure et à huis clos. Mais rapidement, les délégués avaient lâché du lest, constatant l'un comme l'autre, CGT et CFDT, que ce n'est pas tant le stock de papier qui pose problème s'il sort : « On a 3000 tonnes ici, mais le groupe en produit 400.000, et nos quantités, c'est Turckheim qui les produit ». Ce n'est même pas non plus les deux machines à papier et la contre-colleuse, d'énormes monstres, mais plutôt la chaudière, toute neuve, les bobineuses, et quantité de matériel annexe. « Le repreneur Lenk peut-il reprendre une coquille vide ? Si l'usine est déménagée, quel peut être l'intérêt d'une reprise ? » En effet... « On ne peut pas non plus à partir de demain se déguiser en mickeys pour ne pas être reconnu », dit Jean-Christophe Capdet.

Liberté de circuler
On a donc décidé à 11 h 05 de lever le blocus de l'entrée et de libérer les quais, mais de conserver la surveillance du site. « Beaucoup d'entre nous n'ont pas reçu leur lettre de licenciement. Ils font toujours partie de la société ». Concrètement, la liberté de circuler sera entière, à l'entrée comme à la sortie, mais les transporteurs seront escortés, et l'on vérifiera qu'ils emportent du matériel non stratégique. « On craint très fort que l'extension dont ils parlent à l'usine Matussière de Raon-l'Etape soit réalisée grâce à notre chaudière ». La mobilisation va donc continuer, 24 h sur 24 avec des tours de veille, mais sous une autre forme.

La décision prise, on ne sentait nul soulagement, mais nul énervement non plus. Chacun sentait bien qu'il n'y avait pas d'autre solution, surtout en l'absence d'un signe clair poussant à la reprise par Lenk, l'industriel badois qui n'a pas donné signe pour le moment ni aux syndicats, ni au CAPEV, ce qui ne veut pas dire que le dossier est en panne. Les salariés, qui ne sont hélas plus très nombreux à être mobilisés (ils étaient une cinquantaine hier) veulent au moins tenir jusqu'à ce que Lenk donne ses intentions, promises avant la fin du mois. « Bien entendu, on ne peut demander à PMF de vendre s'il n'y a pas d'acheteurs ».

Jean-Marc donne son sentiment à la sortie de la réunion : « On a tenu six mois et on n'a rien cassé ni volé. Ici, c'était une bonne boîte. Il y avait une bonne ambiance. On n'en retrouvera pas une comme ça ». Ça vaut le coup pour lui et ses collègues de continuer à garder l'espoir, même si tous ont reçu un nouveau coup qui a sonné.

Guillaume MAZEAUD